Second Life,
une seconde économie.
Bienvenue sur Second Life ! Un univers d'îles paradisiaques, de montagnes rose et bleu, de mer turquoise, d'immeubles, de boutiques et de restaurants ultradesign, de casinos... Un monde peuplé principalement de bimbos et de mâles musclés.
Second Life (SL) est un "monde persistant" où la vie ne s'arrête jamais, une simulation en trois dimensions de la vie réelle dans laquelle l'internaute mène une deuxième vie avec son "avatar", son personnage virtuel. Mi-juillet, ils étaient plus de 8,1 millions à résider dans Second Life, entreprise créée en 2003 par Linden Lab, une société californienne, créée par Philip Rosedal, économiste de formation. L'engouement est tel que Second Life recrute désormais plus de 800 000 internautes par mois. Au classement des pays les plus représentés, la France se situe derrière les Etats-Unis.
SL n'est pas un jeu comme les autres : pas besoin de tuer un maximum de monstres en un temps record, pas de Graal à trouver, aucune mission à remplir. La seule contrainte est de vivre une deuxième vie. Tout est possible : se balader, faire du sport, du shopping, l'amour, vendre des services et des biens, se marier, travailler, créer son entreprise.
Chacun est propriétaire de ses créations et peut même gagner de l'argent. Du vrai. Second Life a sa propre monnaie : le "linden dollar". On peut l'échanger contre des dollars sonnants et trébuchants et créditer son compte grâce à sa carte bancaire moyennant des frais de transactions (0,23 euro chacune). Début juillet, 1 dollar valait 270,80 linden dollars (un peu plus de 320 pour 1 euro). Sur le "lindex", une place boursière virtuelle, il s'échange 2 millions de dollars par jour. Cette monnaie transnationale échappe aux banques centrales. Mi-juillet, un total de 330 000 dollars américains a été injecté pour maintenir le cours. Au dernier forum de Davos, Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne, qui découvrait le phénomène, déclarait en privé : "Si cela prend de l'ampleur, il va falloir regarder, c'est de la création de monnaie !"
Alain Della Negra et Kaori Kinoshita, deux jeunes artistes qui réalisent un documentaire sur le sujet, reconnaissent que "gagner de l'argent est l'une des principales préoccupations des nouveaux résidents". Le sexe est sans aucun doute l'une des premières activités sur SL. Il a permis à certains de faire fortune. Car, lorsque l'on crée son avatar, il n'est ni homme ni femme. Il faut donc lui acheter des attributs et... des positions. "Il y a deux ou trois fournisseurs de positions sexuelles et d'accessoires coquins qui gagnent beaucoup d'argent, explique un résident, plusieurs dizaines de milliers de dollars par mois."
Kevin Alderman, alias Strocker Serpentine, est aujourd'hui à la tête d'un mini-empire virtuel classé X. Cet ancien plombier américain se définit lui-même comme un "Mogul de la pornographie". Son plus beau coup, c'est avec la réplique de la ville d'Amsterdam vendue 50 000 dollars sur eBay qu'il l'a fait. Pour les résidents qui veulent tenter une expérience sexuelle, le site sl-escort.com fournit un catalogue d'"escort girls". "C'est plus un jeu sans conséquences qu'une vraie activité !", s'exclame une jeune Française qui souhaite garder l'anonymat.
"Second Life est un territoire de délocalisation extrême. Dans les pays émergents, y avoir une activité peut permettre d'arrondir ses fins de mois", affirme Gregory Kapustin, le jeune créateur de la Webradio Radiodelameduse.org.
Pour l'instant, ceux qui ont fait fortune sont une poignée. Ils sont graphistes, designers, promoteurs immobiliers. Anshe Chung, une Allemande d'origine chinoise, de son vrai nom Ailin Graef, en fait rêver plus d'un. Sa recette ? Elle a acheté des parcelles de terrain, y a construit des immeubles, les a revendus à un moment où la spéculation allait bon train. A partir d'un apport initial de 9,95 dollars par mois, son chiffre d'affaires annuel dépasserait aujourd'hui les 2,5 millions de dollars. Son studio de création numérique - bien réel celui-là -, Anshe Chung Studios, emploie plusieurs dizaines de personnes.
Un autre moyen de gagner de l'argent est de fabriquer des objets virtuels. Mais cela suppose d'avoir un "bon coup de souris". Dans la vraie vie, Jennifer Grinnell, alias Janis Marlowe, travaillait dans une entreprise de livraison de meubles. Sur Second Life, elle a créé une ligne de vêtements et d'apparences pour les avatars. Elle a fini par quitter son vrai job. Le nouveau lui rapporte quatre fois plus.
En France, ils ne seraient qu'une quinzaine à vraiment gagner de l'argent. Stéphane Zugzwang (son nom de résident), la quarantaine, ancien cadre à la direction informatique d'une grande entreprise, a décidé de sauter le pas. Pionnier de Second Life - il y est entré en 2004 "pour le fun" -, il vient de quitter son emploi. "J'ai commencé par monter un club d'échecs. Puis j'ai vendu des échiquiers que je créais. Au début, je devais gagner 10 dollars par trimestre", raconte-t-il. Il propose peu après des "Virtual reality rooms", des pièces fermées simulant de grands espaces réels grâce à des photographies. L'avatar peut alors construire sa maison à New York, Paris... Stéphane monte ensuite un magasin sur un terrain de Linden Lab. Les résidents y achètent le coffret virtuel de ses "Virtual reality rooms" pour un prix compris entre 500 (1,84 dollar) et 5 000 linden dollars (18,50 dollars). "Aujourd'hui, dit-il, je gagne entre 1 000 et 2 000 dollars par mois." C'est certes encore loin des 6 000 euros net mensuels de son ancien salaire, dont il sait qu'il ne pourra pas les gagner directement sur le site. En revanche, il compte sur l'entreprise qu'il a créée pour aider les sociétés à s'implanter sur Second Life.
Pour s'assurer une présence sur ce site, elles sont prêtes à dépenser de grosses sommes. Le groupe BNP Paribas aurait déboursé plusieurs milliers d'euros pour y installer ses filiales Cortal Consor et Cetelem. IBM a investi pas moins de 10 millions de dollars pour être présent virtuellement. Nike et Adidas y vendent des chaussures, Pontiac et Toyota des voitures. En juin, six entreprises françaises (Areva, Alstom, L'Oréal, Cap Gemini, Unilog et Accenture) y ont organisé un premier forum de l'emploi, en effectuant des entretiens de recrutement pour la vraie vie par avatars interposés. Grâce à ses nouvelles fonctions de consultant, Stéphane table sur un chiffre d'affaires de 100 000 dollars dans les douze prochains mois.
"Pour l'instant, la balance des paiements de Second Life est très avantageuse car il y a beaucoup plus d'entrées de capitaux que de sorties", note le chercheur Serge Soudoplatoff. "Une grande majorité garde ses linden dollars, ceux-là entretiennent le rêve pour tous les autres", confirme Xavier Antoviaque, consultant spécialiste des communautés virtuelles.
Second Life, plaque tournante pour blanchir de l'argent ? En avril, Linden Lab, qui veut surtout éviter d'être accusé de complicité de blanchiment, a invité le FBI à effectuer une visite d'inspection de ses casinos virtuels. La société a d'elle-même interdit toute publicité pour les jeux d'argent sur le site. Elle avait auparavant signé un accord avec Paypal ; 95 % des échanges monétaires passent par ce système de paiement sécurisé propriété d'eBay. "J'ai reçu un e-mail de Paypal me demandant de m'identifier en fournissant une copie d'une pièce d'identité et un justificatif de domicile car mes revenus avaient dépassé les 6 500 euros dans l'année", affirme Stéphane. Rien n'empêche toutefois de créer plusieurs comptes Paypal et d'investir ses gains en achetant, puis en revendant, des biens sur Internet.
Faut-il ou non déclarer les revenus de ses activités ? Contactée à plusieurs reprises, la direction générale des impôts reste étonnamment muette sur le sujet. Dans d'autres pays, le fisc a pris les devants. En Suède, il envisage sérieusement d'imposer les gains des joueurs. Certains membres du Congrès américain estiment impossible de convertir le fruit de ses activités en dollars sans le déclarer. En Australie, les autorités ont confirmé que les rentrées d'argent étaient sujettes aux mêmes règles que n'importe qu'elle transaction effectuée dans la vie réelle. Stéphane a pris les devants. Il a déclaré ses revenus au fisc français en bénéfices non commerciaux.
Gagner sa vie dans Second Life n'est pas une sinécure. En juin, seulement 132 "résidents" à travers le monde avaient un solde positif supérieur à 5 000 dollars - ils n'étaient que 90 en décembre 2006. Second Life a aussi ses travailleurs précaires. Homme sandwich, escort girl, agent de sécurité, danseur dans une discothèque, technicien de surface...
Ces petits boulots ne permettront jamais de faire fortune mais seulement de gagner quelques centaines de linden dollars par jour. Si le droit du travail n'existe pas encore dans ce monde virtuel, des règles tacites sont appliquées : une danseuse dans une boîte de nuit verse 20 % de ses gains au patron. Sur Second Life, l'exploitation fait aussi partie du jeu.
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